Maidhc Ó Cathail : Considérez-vous Cologne 2015 comme un tournant ou le début de la fin de la civilisation européenne ?
Jean Bricmont : Je ne suis pas sûr de ce que signifie la civilisation européenne, mais si elle a survécu aux deux guerres mondiales, elle survivra à Cologne en 2015. Il ne faut pas exagérer ce qui arrive aux réfugiés. Je suis partagé à ce sujet. D’un côté, je ne pense pas que ce soit si grave ; que sont quelques millions de réfugiés parmi 500 millions d’Européens ? D'un autre côté, les sondages montrent qu'une majorité de citoyens dans les pays européens ne veulent pas « accueillir » davantage de réfugiés et je pense que c'est leur droit de le faire (même si personnellement je ne pense pas que ce soit si grave) .
Ce que j'appelle la gauche morale veut forcer la population à être altruiste à l'égard des réfugiés. Mais la population, qui n'est jamais consultée sur la question des réfugiés et à qui l'on demande constamment des sacrifices parce qu'« il n'y a pas d'argent », n'accepte naturellement pas ce discours moral.
Maidhc Ó Cathail : Comment est ce que tu as écrit L'impérialisme humanitaire lié à la crise actuelle des réfugiés ?
Jean Bricmont : Eh bien, les mêmes qui ont encouragé les interventions « humanitaires » et le « soutien » aux insurrections armées à l’étranger, qui ont conduit à des guerres perpétuelles, générant un flux constant de réfugiés, exigent maintenant que la population de nos pays « accueille les réfugiés ». Ils y génèrent d’abord le chaos, puis ils applaudissent au chaos ici. Cela ne peut pas durer éternellement. On peut voir des signes d’une révolte populaire généralisée contre cela. Or, je ne suis pas optimiste quant à la tournure que prendra cette révolte, car, la gauche étant presque totalement gagnée à la cause des interventions humanitaires et de son corollaire de l'accueil des réfugiés, cette révolte profitera presque certainement surtout aux (lointains) droite.
Maidhc Ó Cathail : Pensez-vous que la culpabilité face à l’Holocauste est la force motrice derrière la décision de l’Allemagne d’accepter plus d’un million de réfugiés ?
Jean Bricmont : Ce n’est pas « l’Allemagne » qui a pris cette décision mais Mme Merkel, à la consternation de nombreux Allemands, et peut-être de la plupart. Ses motivations personnelles ne sont pas claires. Pour une minorité d’Allemands qui accueillent activement les réfugiés, l’Holocauste est sans aucun doute un facteur. Mais les jeunes générations, partout en Europe, en ont assez de cette culpabilité artificielle (comment peut-on se rendre coupable d'événements survenus avant sa naissance ?). Donc, En Allemagne également, il existe de nombreux sentiments négatifs à l'égard des réfugiés.
Maidhc Ó Cathail : Pensez-vous qu’on puisse être contre les guerres américaines et l’occupation israélienne et en même temps avoir des réserves quant à l’immigration musulmane en Europe ?
Jean Bricmont : Oui bien sûr. Mais je suis très réticent à considérer cette immigration (comme plusieurs personnes le font) comme un « complot » des États-Unis et d’Israël visant à « islamiser » l’Europe. D’une part, les sionistes ici sont divisés : il est vrai que certains d’entre eux sont favorables à des frontières plus ouvertes, mais d’autres ont peur de « l’islamisation » de l’Europe, sachant que les musulmans n’aiment pas vraiment « l’État juif ». . Je ne crois pas qu'une telle islamisation ait lieu, mais je pense qu'il faut être pragmatique en matière d'immigration. Nous n’aurons jamais de frontières vraiment ouvertes, contrairement à ce que réclame une partie de l’extrême gauche (sinon nous serions vraiment vite dépassés et une réaction d’extrême droite se produirait pour arrêter cela), ni de frontières complètement fermées. Ce n'est qu'une question de degré. Le problème est que certaines de nos « élites » vivent dans un monde de rêve où la mondialisation est toujours considérée comme une bonne chose et les souhaits de la population sont méprisés et ignorés. Cela crée un risque de réaction dangereuse.
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