PARIS, juin (IPS) L'un des hommes les plus puissants du monde, directeur de la plus grande institution financière de la planète, agresse sexuellement l'une des personnes les plus vulnérables au monde, un humble immigrant africain. Dans sa concision brute, cette image résume avec la force expressive d’un dessin éditorial l’une des caractéristiques centrales de notre époque : la violence des inégalités.

Ce qui rend le cas de Dominique Strauss-Kahn – ancien directeur général du Fonds monétaire international et leader de l'aile droite du Parti socialiste français – plus pathétique, c'est que, si les accusations portées contre lui s'avèrent fondées, sa chute sera également un métaphore de l’effondrement moral actuel de la social-démocratie. Avec la circonstance aggravante qu'elle révèle aussi, en France, les dangers des médias complices.

Cette situation exaspère de nombreux électeurs de gauche en Europe, de plus en plus enclins à trois formes de rejet, comme nous l’avons vu lors des élections municipales et régionales du 22 mai : l’abstentionnisme radical, le vote pour l’extrême droite et les manifestations de rue animées.

Naturellement, l'ex-patron du FMI et ex-candidat du Parti Socialiste français à l'élection présidentielle de 2012, inculpé d'agression sexuelle et de tentative de viol sur une femme de ménage dans un hôtel de New York le 14 mai, bénéficie de la présomption d'innocence jusqu'à son procès. le procès est terminé. Mais ce qui a été le plus honteux, c'est l'attitude affichée en France par des dirigeants socialistes et de nombreux intellectuels « de gauche » amis des accusés et qui se sont précipités pour faire des déclarations et des défenses inconditionnelles de Strauss-Kahn, le présentant comme la véritable victime, avec des allusions à " complots » et « machinations ». Il n'y a pas eu un mot de solidarité ou de compassion pour la victime présumée. Certains, comme l'ancien ministre de la Culture Jack Lang, dans un geste de machisme, ont en fait minimisé la gravité de la situation, car "après tout, personne n'est mort".[1] D'autres, oubliant même le sens du mot "justice", sont allés jusqu'à exiger certains privilèges et un traitement favorable pour leur puissant ami parce que, affirmaient-ils, il n'était pas simplement « un autre criminel de droit commun [ii] ».

Une telle audace a donné l’impression que les élites politiques françaises resserrent simplement les rangs autour de n’importe lequel de ses membres, quelle que soit l’accusation, dans une démarche qui semble plus appropriée à une complicité mafieuse [iii].

Rétrospectivement, maintenant que des accusations antérieures d'agression sexuelle de la part de Strauss-Kahn font surface [iv], beaucoup de gens se demandent pourquoi les médias ont caché cet aspect de son personnage [v]. Pourquoi les journalistes, qui n'ont pas ignoré les accusations d'autres victimes de harcèlement, n'ont-ils jamais ouvert d'enquête sur ces allégations ? Pourquoi les médias ont-ils tenu l'électorat dans l'ignorance et présenté le chef du FMI comme « le grand espoir de la gauche » alors qu'il était clair que son talon d'Achille pouvait à tout moment court-circuiter son ascension ?

Pendant des années, dans ses efforts pour remporter la présidence, Strauss-Khan a engagé des brigades de spécialistes d'images, dont l'une des missions était d'empêcher la presse de faire connaître son style de vie luxueux. L’objectif était d’éviter tout contraste inopportun entre sa façon de vivre et celle de millions d’humbles citoyens jetés dans l’enfer social, en partie à cause des politiques imposées par l’institution qu’il dirigeait.

Désormais, les masques tombent. Le cynisme et l’hypocrisie apparaissent dans toute leur crudité. Et même si la conduite privée d’un homme ne devrait pas mettre en cause l’ensemble de son clan politique, elle soulève manifestement de sérieuses questions sur la social-démocratie. Ajoutez à cela les innombrables cas de corruption économique qui marquent le mouvement, voire sa dégénérescence politique, comme le montre l’éviction des dictateurs Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, tous deux membres de l’Internationale Socialiste.

La conversion massive à l’économie de marché et à la mondialisation néolibérale, le renoncement à toute défense de l’État providence et du secteur public, la nouvelle alliance avec le capital financier et le secteur bancaire ont dépouillé la social-démocratie des traits premiers de son identité. Chaque jour, les gens ont plus de mal à faire la différence entre les politiques « de gauche » et « de droite », car toutes deux obéissent aux ordres des patrons financiers du monde. C'était peut-être une brillante initiative de la part de ce dernier de placer un « socialiste » à la tête du FMI pour imposer des programmes d'ajustement structurel néolibéral draconiens à ses amis « socialistes » de Grèce, du Portugal et d'Espagne [vi].

D’où l’explosion du dégoût et de l’indignation populaires, et le rejet du faux choix entre les deux plates-formes principales, qui n’étaient en fait que jumelles. Puis vinrent les « jours de colère » sur les places publiques, et le réveil de la société. Cela signifiait la fin de l'inaction et de l'indifférence, et une exigence centrale : « Le peuple veut la fin du système ». (FIN/COPYRIGHT IPS)

Ignacio Ramonet est rédacteur en chef du "Monde diplomatique en espagnol".

[i] Extrait du journal télévisé de la chaîne de télévision publique française France 2, 17 mai 2011.

[ii] Bernard-Henri Lévy, "Défense de Dominique Strauss-Kahn" (www.bernard-henri-levy.com/defense-de-dominique-strauss-kahn-18909.html ), et Robert Badinter, ancien ministre de la Justice socialiste, 
déclarations à la radio publique France Inter, 17 mai 2011.

[iii] Ce collectif a fait preuve d'une formidable efficacité dans le contrôle des médias lorsqu'il a réussi à mobiliser en 2009 l'opinion publique française et des personnalités gouvernementales pour soutenir la cause de la politique franco-polonaise. 
le réalisateur Roman Polanski, accusé aux États-Unis d'avoir drogué et sodomisé une jeune fille de 13 ans en 1977.

[iv] Surtout celle formulée par l'écrivain et journaliste Tristane Banon. Voir : « Tristane Banon, DSK et AgoraVox : retour sur une omerta médiatique » , AgoraVox, 18 mai 2011.(www.agoravox.fr/actualites/medias/article/tristane-banon-dsk-et-agoravox-94196)

[v] Au FMI lui-même, Strauss-Kahn avait déjà été impliqué en 2008 dans un scandale provoqué par sa liaison avec une subordonnée, l'économiste hongroise Piroska Nagy.

[vi] « Ses références « socialistes » lui ont permis d’administrer des pilules amères à de nombreux gouvernements de droite et de gauche et d’expliquer aux millions de victimes de la finance internationale qu’il leur suffisait de se serrer la ceinture et d’attendre des temps meilleurs. " Pierre Charasse, « No habra revolucion en el FMI (Il n'y aura pas de révolution au FMI) », La Jornada, Mexique, 22 mai 2011.

  


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