Source : Méta
Le monde à la croisée des chemins. Un monde riche en crises interdépendantes. La méfiance à l'égard des institutions de la société atteint un niveau sans précédent – sans qu'aucune institution ne soit exclue. Peur et colère mal orientées qui en résultent parmi les populations.
Une façon de voir l’histoire de notre époque est celle des systèmes incontrôlables. Des systèmes imbriqués – économiques, gouvernementaux, civiques, privés – engendrent des crises interdépendantes.
La question pourrait alors devenir : « qu’est-ce que ces systèmes ont en commun ? »
Avec les gains de conscience majeurs réalisés au cours du siècle dernier – grâce à la naissance de mouvements populaires à peine inconcevables avant les années 1960 – sur quoi devrait se concentrer la population active en général pour opérer un changement durable ? Comment pouvons-nous commencer à inverser le cours de ces crises ? Les dépasser ?
Malgré ces avancées cruciales, il est difficile de trouver une quelconque forme de résistance unie parmi les nombreux mouvements populaires contre les institutions largement responsables des crises. Il s’agit plutôt, après tout, d’une dispersion.
Il y a encore moins de résistance autour d'un ciment commun que d'une vision partagée non seulement de ce que nous ne voulons pas mais de ce que nous voulons, et d'une volonté d'organiser et d'élaborer des stratégies pour tenter de proposer et de mettre en œuvre lesdites visions.
Pourquoi cela pourrait-il être le cas, tant pour les crises mondiales que pour le manque d’organisation populaire et de résistance ?
Eh bien, Michael Albert a beaucoup à dire à ce sujet et cela vaut peut-être la peine. « Pas de patrons – Une nouvelle économie pour un monde meilleur », sorti chez Zero Books à l’automne 2021, propose un « échafaudage » d’une vision d’une économie que les populations actuelles et futures, espérons-le, ajouteront ou diminueront comme bon leur semble. Comme il le dit, « planter les graines de l’avenir dans le présent », ce qui relève de notre responsabilité.
Albert n'est-il qu'un intellectuel parmi d'autres, détaché et désaffecté par les luttes et les préoccupations quotidiennes des travailleurs ordinaires, et trouvant seul des solutions à leurs problèmes qu'il ne comprend pas ? Eh bien, lisez le livre et vous découvrirez rapidement comment le travail d'Albert se distingue du pack conventionnel. Il existe en effet une liste interminable d’intellectuels importants, tant dans le courant dominant – universitaire ou autre – que de ceux qui prétendent appartenir à des mouvements populaires, qui se sont soi-disant chargés de trouver de soi-disant solutions et ont échoué. Nos soi-disant « meilleurs et plus brillants » parmi les gouvernements, les entreprises, les groupes de réflexion, les universités et les médias.
Dans le cas de ceux qui font partie des systèmes de pouvoir privés et étatiques, ils semblent prétendre ne pas être un rouage de ces mêmes systèmes et exécutent inévitablement les impératifs de ces systèmes, au détriment de la population en général.
Dans le cas des universitaires, malgré les libertés uniques qui leur sont accordées, l’arène est largement caractérisée par une conformité aux structures de pouvoir existantes, devenant finalement un appendice du milieu actuel. Ainsi, la peur, l’amertume et la rage de notre époque, à tort ou à raison, ne font aucune distinction entre les élites des gouvernements, des universités, des médias et des autres institutions politiques.
Quant aux mouvements, malheureusement mais sans surprise, le travail de leurs « supérieurs » internes tend aussi, tout d’abord, à ne même pas tenter de proposer des solutions ancrées dans les réalités quotidiennes des populations qu’ils prétendent être. se battre pour. Lorsque certains proposent des solutions, même bonnes, elles ont tendance à n’être que théoriques et non élaborées collectivement avec ces mêmes populations à un niveau participatif – ou même avec les structures de travail des mouvements eux-mêmes. Par conséquent, les mouvements sont trop souvent perçus par le public comme une simple posture de protestation dans les rues et sur les places.
Cependant, la plupart du temps, les mouvements se livrent simplement à une analyse – souvent cruciale – mais simplement à une analyse. Les mouvements se demandent alors pourquoi d’autres ne les rejoignent pas après avoir informé les populations laborieuses de notre horrible situation, laissant l’impression que nous sommes tous simplement des victimes impuissantes d’un jeu de pouvoir lointain, et ne nous engageons pas avec eux – vers des objectifs – sur le terrain. régulièrement, de manière participative. Ou même essayer. Aucune agence, aucun mouvement, aucun changement.
Tout cela ne contredit pas le fait que, grâce aux mouvements du dernier demi-siècle, la conscience s’est considérablement élevée. Les déficits très réels et profonds de ces mouvements constituent cependant une grande partie de la base sur laquelle naissent des visions comme Parecon – l’économie participative – exposée par Albert dans « No Bosses ».
Je ne considère pas du tout la vision comme académique. En fait, j’ai même, en partie, des réserves quant au fait que cela soit qualifié de vision. Il me semble plutôt que c'est quelqu'un d'intégré qui tend un miroir aux personnes concernées et impliquées. Un rappel non condescendant de « jouer gentiment ». Ou des rappels qu’au fond, nous savons tous vraiment qu’aucun de nous n’est supérieur aux autres. Ou que, si l'un d'entre nous possède des talents visibles, il ne faut pas qu'ils dominent les autres, car s'ils le sont – entre autres choses – cela compromet l'efficacité, les objectifs de l'organisation ou du lieu de travail et la dignité de l'employé. participants. Ou que, que nous l’admettions ou non, nous comprenons que l’organisation humaine, à la plus petite ou à la plus grande échelle, ne peut tout simplement pas durer si les hiérarchies existantes sont autorisées à persister. Quelle que soit l’organisation, qu’il s’agisse de groupes anti-guerre de 10 personnes, d’entreprises de 50 personnes, de syndicats de milliers de personnes ou d’entreprises de centaines de milliers de travailleurs. Pas si l’on veut qu’il y ait un réel semblant de « démocratie » et d’efficacité. Ou la dignité. Ou l'accomplissement. Ou…
….même la survie de l’espèce.
Dans No Bosses, Parecon, ou une économie sensée au service de tous, présente avec lucidité un ensemble de valeurs comme base sur laquelle l’échafaudage sera construit. Ces valeurs rappellent l’expression « tout ce que nous devons savoir, nous l’avons appris à la maternelle », mais elles sont trop souvent supprimées à l’âge adulte, ce qui a davantage à voir avec les structures d’incitation existantes dans la société actuelle… et un manque prodigieux d’organisation populaire. Il serait assez difficile de contester ces valeurs. Équité, autogestion, solidarité, efficacité, diversité et durabilité.
Y a-t-il des arguments contre ceux-ci ? De nos jours, pour diverses raisons, la diversité et la durabilité ne seront pas touchées, sauf par les extrémistes les plus vicieux et les négationnistes de la réalité objective. Laissez-vous entendre dire à vos enfants, à vos étudiants ou à vos collègues de travail qu'il ne devrait pas y avoir d'équité, d'autogestion ou d'efficacité dans la société. Ou qu'il NE PEUT PAS ÊTRE – nous ne sommes pas capables de faire mieux que cela. (Plus sur ce sujet dans une minute).
C'est là que réside une grande partie de l'essence – et de la valeur exceptionnelle – de la mise en page Parecon d'Albert dans No Bosses. L'orthodoxie « libérale » et « conservatrice » moderne et classique n'est pas à court de platitudes et de déclarations sur la liberté, l'égalité, la fraternité, la justice et la démocratie. Jetez un œil autour de vous. Nos sociétés regorgent-elles aujourd’hui de ces principes ? Sont-ils vraiment détectables ? Étaient-ils dans le passé ? Si non, pourquoi pas ?
Dans No Bosses, une grande partie de la vision de Parecon, à mon avis, consiste simplement à décrire ce que ces platitudes signifient réellement et à quoi elles ressembleraient dans la société moderne. Ou plutôt, devrions-nous dire, prendre ces valeurs au sérieux. Et cela signifie appliquer ces valeurs non pas de manière abstraite à la société mais aux domaines productifs quotidiens de la vie des gens : l'économie. Cela signifie également que pour réellement atteindre ces valeurs, si nous sommes d’accord sur elles – pour parvenir à un certain degré d’économie participative et donc de société – ces valeurs devront faire l’objet de délibérations en masse et un ensemble d’institutions devra être mis en place. se dérouler de manière participative afin de réaliser ces valeurs.
Quelles pourraient être ces institutions, demande Albert. Conseils de consommateurs et de travailleurs, rémunération basée sur l'effort, complexes d'emplois équilibrés et planification participative et allocation participative. Ces quelques institutions simples, si elles sont délibérées et mises en œuvre de manière participative, peuvent concrétiser les valeurs énoncées et créer un monde meilleur.
Vous n'aimez pas votre lieu de travail ? (si vous avez la « chance » d'en avoir un) Vous avez un problème avec le fait que quelques-uns possèdent toute la richesse et les biens, grâce, en passant, à votre travail ? Une petite classe d’individus prenant toutes les décisions en tandem avec les propriétaires ? Cette même classe qui fait tout le travail intéressant, créatif et décisif – en bref, le travail responsabilisant ? Vous n'avez pas votre mot à dire sur les conditions et les décisions de votre travail ? Votre salaire reste le même malgré vos efforts ? Etc.
Eh bien, essayez de mettre en place un ensemble d’emplois et de rémunération équilibrés basés sur « l’intensité de votre travail, la durée de votre travail et la pénibilité des conditions dans lesquelles vous travaillez ». Après tout, n'est-ce pas ce que nos meilleurs professeurs d'école primaire – et non des radicaux – nous ont proposé lorsque nous étions enfants ? Ils récompensaient et reconnaissaient ceux qui donnaient le plus d’efforts, en particulier dans le cadre d’efforts collectivement valables, et non ceux qui étaient les plus talentueux ou ceux qui obtenaient systématiquement un « A ».
La solidarité, la diversité, l’équité et la durabilité parlent d’elles-mêmes. Découvrez ce que No Bosses a à dire à ce sujet pour en savoir plus.
Mais qu’entend Albert par « autogestion » ? Chaque individu se commande-t-il ? Chacun pour soi ? Le parfait fantasme libertaire de droite ? Et bien non. L’autogestion signifie l’autogestion collective. Cela signifie un lieu de travail détenu et géré démocratiquement et un ensemble de lieux de travail où la classe est éteinte en éliminant non seulement les propriétaires mais aussi la classe coordinatrice au sein des lieux de travail et dans toutes les industries qui ont monopolisé le travail d'autonomisation. Au fond, cela signifie que chacun a son mot à dire proportionnellement à la mesure dans laquelle il est concerné.
Mais, demande Albert, même si un lieu de travail est doté d'autogestion, obtenons-nous automatiquement de meilleures décisions ? En principe, oui, je dirais, mais qu'en est-il des 80 % de la main-d'œuvre qui effectuent un travail déresponsabilisant, par opposition aux 20 % de coordinateurs qui aiment le travail responsabilisant ? (Cette division se généralise également à la société dans son ensemble.) Un travail mentalement et physiquement épuisant, par cœur et répétitif qui atomise les lieux de travail et les individus, limite leur potentiel et leurs capacités, réduit leurs connaissances, réduit leur confiance et leur fait sentir qu'ils ne le font pas. ou même qu'ils ne devraient pas avoir leur mot à dire dans la prise de décision.
L’antidote à cela est votre complexe professionnel équilibré, où tous les membres du lieu de travail – tous les membres – partagent les tâches nécessaires au bon fonctionnement du lieu de travail. Vous êtes-vous déjà demandé ce que fait réellement votre patron, s’il fait quelque chose ? Pourquoi ces managers jouissent de la confiance, de l'accès et gagnent bien plus que vous, alors que vous êtes presque sûr que n'importe qui d'autre pourrait faire son travail – ou le faire bien mieux ? Vous êtes-vous déjà demandé ce que signifie réellement tout ce discours sur les soi-disant « qualifications » et « expertise » ? Qu’est-ce que ces diplômes ont réellement fait pour rendre votre lieu de travail – et encore moins la société dans son ensemble – plus équitable et efficace ?
Albert pose une autre excellente question. Même si nous disposions d’un lieu de travail basé sur l’autogestion et des complexes d’emplois équilibrés, modifiant ainsi radicalement la division du travail et la prise de décision avec ses ramifications positives de grande envergure, dans le vide, nous serions toujours dans un système de marché. Quel est le problème, pourrait-on dire ?
La réponse courte, selon Albert – et il n’est pas le seul, de loin, et son point de vue ne se limite pas non plus aux soi-disant radicaux – est que les marchés, de par leur nature même, jouent un rôle central dans la création d’une société basée sur la tension. La tension de la concurrence pour les biens, les emplois et bien d’autres choses encore. La tension du court-termisme. Répercussions. Le mot lui-même est une notion déterminante des marchés – quelle que soit la décision que je prends, que prend mon entreprise, mon industrie, au diable les conséquences (inévitables) pour la société. L’exploitation, les pandémies, l’apathie, la peur, la dépression, l’atomisation, la pauvreté, les inégalités, la famine, les guerres d’agression, la pollution et le changement climatique deviennent tous des externalités. Les marchés jouent un rôle déterminant dans la production de comportements antisociaux, germes à l’origine d’une grande partie de ces comportements.
En bref, la survie de l’espèce, dans notre réalité actuelle, devient une externalité dans un système économique axé sur le marché.
L'antidote – l'allocation participative – où une série de propositions entre les conseils d'entreprise et les conseils de consommateurs produisent un plan annuel d'allocation des biens et services. Ces séries de propositions de consommation et de production, du niveau individuel au quartier, à la ville, à la région, etc., favorisent les relations de coopération au lieu d’un antagonisme sans fin.
L'allocation participative est la plus détaillée des institutions déterminantes du parecon. Est-ce possible ? Tarte dans le ciel?
Il n’en faut pas beaucoup pour se demander, à ce stade, que si les éléments forts de ces institutions ne sont pas pris au sérieux, qu’adviendra-t-il de la société humaine dans les années à venir ? L’alternative est l’économie réelle dans laquelle nous vivons, dont les tendances destructrices et exponentielles sont ressenties par tous.
Quand nous disons que le travail d'Albert sur Parecon décrit dans No Bosses n'est pas académique, c'est un compliment. Cela revient à dire qu'il est bien plus facile de proposer des modèles académiques de carrière, de satisfaction personnelle et d'impressionner ses collègues que d'avoir la force morale nécessaire pour élaborer quelque chose, basé sur une expérience réelle, qui n'est pas possible. ne fait que dresser un miroir de soi et de la société, mais présente une vision à laquelle nous pouvons tous nous identifier aux niveaux les plus profonds et les plus immédiats, et qui dit que nous avons tous un intérêt vital dans ce qui se passe dans ce lieu de travail, cette entreprise, ce quartier, cette union, ce mouvement. Cela signifie que nous devons tous avoir notre mot à dire et jouer un rôle substantiel pour avoir le moindre espoir de concrétiser les valeurs énoncées.
Pour cela, Albert fait en réalité le travail d’un éducateur, contrairement à tant de soi-disant « éducateurs » et de soi-disant « leaders » et « coordinateurs » sur les lieux de travail et dans les mouvements. Il s’agit peut-être davantage d’une critique des rôles prédéterminés et des structures hiérarchiques que des individus eux-mêmes. Albert tente non seulement de créer une économie et une société dans lesquelles tous sont activement responsabilisés, mais aussi d'être capables de réaliser cela en premier lieu. Tous peuvent et doivent avoir leur mot à dire sur leurs conditions collectives. Le fait que chacun de nous vaut bien plus que les conditions réelles – ou l’orthodoxie de l’establishment – nous amène à croire que c’est le cas. Que nous sommes collectivement capables de bien mieux. Les préoccupations – et les objectifs – communs l’emportent de loin sur les priorités individuelles ou sectaires. Et tout cela a beaucoup à voir avec le renversement et le dépassement de la réalité actuelle.
No Bosses – et Parecon – fournissent des informations inestimables à tous ceux qui souhaitent s’engager collectivement à tous les niveaux et de quelque manière que ce soit dans la quête d’un monde meilleur.
Ce que je retiens finalement de No Bosses et de Parecon dans son ensemble, c'est que, si l'on a le moindre espoir de construire efficacement une conscience, de meilleurs mouvements, une meilleure économie et un monde meilleur qui durera, tout engagement doit en substance être considéré comme une opportunité éducative – pour toutes les parties. Par opposition à une opportunité pour soi ou pour son nom. L’une visait l’autonomisation mutuelle à grande échelle afin d’obtenir de nouveaux gains dans la poursuite des objectifs. Sachant que si ce n’est pas l’objectif dans une certaine mesure et que les décisions et le pouvoir sont laissés à cet échelon supérieur de 20 % de toutes les organisations, échapper à nos crises existentielles actuelles relève d’une pensée utopique et fantastique.
Contrairement à Parecon.
En termes d’idées et de vision pratique, No Bosses marche le pas, ne se contente pas de parler. Un apport indispensable.
Que pensez-vous?
C'est à nous tous, désireux d'un monde meilleur sur le terrain, de prendre le pas également.
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