En février 2004, les forces rebelles d'Haïti ont lancé avec succès une campagne armée pour renverser le président populiste Jean-Bertrand Aristide. Les milices anti-Aristide, composées principalement de soldats de l'armée haïtienne dissoute, ont pris le pouvoir et une vague de violence a englouti le pays. Alors que le coup d'État se déroulait, des centaines de militants et de membres du parti politique pro-Aristide Lavalas ont été emprisonnés sans inculpation, selon Amnesty International.
Le 9 mai 2004, quelques mois seulement après le coup d’État, un contingent de Marines américains est entré dans la maison d’Annette Auguste après minuit, arrêtant l’un des chanteurs folk les plus connus d’Haïti, des dirigeants communautaires et d’éminents partisans de Lavalas. Auguste, également connue sous le nom de So Ann (« Sœur Anne » en créole) a été appréhendée parce qu'elle était soupçonnée de « possession d'informations pouvant constituer une menace » pour les troupes américaines opérant en Haïti sous l'égide de la force interne de l'ONU.
'NOUS. Les Marines ont détruit ma maison, tué mes chiens et m’ont enlevé au milieu de la nuit », raconte So Ann au téléphone depuis Port-au-Prince, la capitale d’Haïti. « J’ai été enfermée en prison pendant plus de deux ans en raison de mes convictions politiques et les conditions étaient terribles : une douzaine de femmes enfermées dans une cellule de prison pour deux personnes. »
Ainsi Ann, une grand-mère de 62 ans, a été libérée de prison en août 2006 après une grande campagne internationale en faveur de sa libération, soutenue par Amnesty International. La semaine prochaine, So Ann, considérée comme une héroïne folklorique haïtienne, prendra la parole et se produira lors d'une série d'événements à Montréal lors de l'un de ses premiers voyages internationaux après la prison.
Vivre le message
« Je viens tout juste d'être libérée de deux ans de prison sans procès et je vais au Canada pour parler aux gens de nos luttes pour la liberté en Haïti », dit-elle. « Montréal va entendre parler de ce que les Marines américains m’ont fait, de la situation des prisonniers politiques en Haïti et du coup d’État contre Aristide soutenu par le gouvernement du Canada. » (Le Canada a déployé 550 soldats sur l’île des Caraïbes.)
« Ce sont les raisons simples pour lesquelles je viens jusqu’à Montréal enneigé, même avec mes genoux douloureux à cause de mon séjour en prison », dit-elle. «Je serai également à Montréal pour jouer ma musique qui raconte le long combat du peuple haïtien pour la justice.»
Le dernier disque de So Ann, « So Ann, Political Prisoner : What else can he do to me ? » a été publié en 2005 par Crowing Rooster Arts, basé à Manhattan. Avec 11 titres, l'album met en valeur les voix de son chœur de femmes de 19 chanteuses ainsi que des percussions, des guitares et des claviers. Le plus impressionnant à propos de cette sortie est qu’elle a été officiellement publiée alors que So Ann était derrière les barreaux.
« So Ann vit le message qu'elle chante », déclare Kim Ives, réalisatrice de documentaires basée à New York et amie de longue date de So Ann. « En septembre dernier, après la sortie de prison de So Ann, je l'ai accompagnée lors de son premier retour à Cité Soleil (un quartier pauvre de Port-au-Prince) ; Une fois que la nouvelle s'est répandue que So Ann était dans le quartier, des milliers et des milliers de personnes ont rempli les rues autour d'elle pour célébrer sa sortie de prison.
Ainsi, l’histoire politique d’Ann en Haïti remonte au-delà du coup d’État de 2004 jusqu’à l’ère brutale des Duvalier dans les années 1970. Au cours des premières années de la deuxième dictature des Duvalier, sous Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier, So Ann a fui aux États-Unis et s’est installée à Brooklyn, où elle a développé une solide réputation au sein de la diaspora haïtienne de New York en tant que militante pour la démocratie et chanteuse folk. Elle a écrit des hymnes de protestation créole contre le régime des Duvalier et les juntes militaires qui ont suivi.
«Ma musique raconte la lutte d'Haïti aujourd'hui et l'histoire de notre histoire», dit donc Ann. « De notre victoire d’indépendance sur la France en 1804 aux années sanglantes de Duvalier et aux coups d’État contre Aristide, notre histoire est pleine de souffrance mais aussi d’une forte volonté de lutter. »
Les prisons toujours pleines
À son retour en Haïti en 1994, So Ann est devenue l'une des principales organisatrices du parti Lavalas d'Aristide, forgeant une relation de respect mutuel avec le président tout en devenant une organisatrice politique progressiste de poids dans le pays. À sa sortie de prison, l’influence politique de So Ann auprès des pauvres d’Haïti s’est accrue. Aujourd’hui, sa musique, qui reflète les luttes des opprimés d’Haïti, qui vivent dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, l’a rendue plus populaire que jamais, même si elle reste déterminée à apporter des changements dans son propre pays.
« [L’actuel président d’Haïti et ancien allié d’Aristide, René] Préval n’utilise pas le pouvoir qui lui a été accordé lors des dernières élections pour libérer tous les prisonniers politiques dans les prisons d’Haïti », dit-elle. « Tant que tous les prisonniers politiques ne seront pas libres, Haïti ne sera pas libre. »
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