Quelle est la valeur monétaire de la vie d’un syndicaliste colombien ? Il s'avère que cela dépend du nombre de personnes tuées au cours d'une année donnée, car les amendes potentielles que le gouvernement colombien devra payer en vertu de son accord de libre-échange (ALE) avec Canada chaque fois qu'un militant syndical est tué, le montant est plafonné à 15 millions de dollars. Si cela ressemble à une mauvaise blague, je m'en excuse, mais c'est en fait ce que le gouvernement canadien a négocié.
Le 7 Juinth, Canada a fièrement proclamé qu'il avait conclu avec succès son accord commercial avec ce pays andin en proie à des problèmes de droits de l'homme. Négocié avec une efficacité qui doit inciter l’administration Bush – dont le propre accord commercial avec Colombie est au point mort en raison de l’opposition du Congrès – jaloux, l’accord a été conclu moins d’un an après le début des négociations.
Avec quatre ministres canadiens ayant rendu visite au président colombien Alvaro Uribe et à d'autres membres de son cabinet entre juillet 2007 et février 2008, il est clair que les conservateurs de Harper avaient fait de l'accord commercial une priorité majeure malgré le bilan épouvantable de la Colombie en matière de droits de l'homme (voir, par exemple, mon article sur le Canada et la Colombie : https://znetwork.org/znet/viewArticle/17729). Comme l’a déclaré le nouveau ministre des Affaires étrangères (et ancien libéral), David Emerson : « Le gouvernement du Canada respecte son engagement d’ouvrir des débouchés aux entreprises canadiennes dans le monde. Amériques et dans le monde. »
L’accord, qui n’a toujours pas été rendu public, va désormais faire l’objet d’un examen juridique par des avocats canadiens et colombiens. Une fois l’examen terminé, le projet de loi sera soumis à la Chambre des communes pour ratification, ce qui ne devrait pas poser de problème aux conservateurs malgré leur gouvernement minoritaire puisque les libéraux ont déclaré qu’ils l’appuieraient s’il contenait des dispositions sur les droits de la personne. C’est le cas – mais j’y reviendrai dans un instant.
Que l’assaut capitaliste canadien commence
Comme les accords commerciaux qui l'ont précédé (ALENA, Israël, Chili, Costa Rica et plus récemment Pérou), l’ALE Canada-Colombie réduira considérablement les droits de douane sur les exportations entre les pays participants dans toute une gamme d’industries. Mais comme les accords commerciaux qui l’ont précédé, il ouvre peut-être plus important encore un autre pays aux investissements canadiens. Comme le précise un communiqué de presse des Affaires étrangères : « Une fois mis en œuvre, l’accord garantira l’accès au marché pour les investisseurs canadiens et leur offrira une plus grande stabilité, transparence et protection pour leurs investissements. »
Depuis l’ALENA, les accords de libre-échange négociés par le Canada comprennent des chapitres qui accordent des droits d’investissement extrêmement stricts aux entreprises (le tristement célèbre chapitre 11 de l’ALENA). C’est cela la « stabilité, la transparence et la protection » dont parlent les Affaires étrangères. Les multinationales canadiennes bénéficieront désormais d'un accès privilégié au marché colombien et à ses ressources, ainsi que du droit de poursuivre les gouvernements colombiens si elles estiment que leurs droits en vertu de l'accord commercial n'ont pas été respectés – comme cela pourrait être le cas, par exemple, si L'opposition de la communauté locale stoppe un projet minier. Les entreprises canadiennes ont en fait activement intenté des poursuites dans le cadre des autres accords commerciaux ; ils sont plus susceptibles de poursuivre des gouvernements étrangers que leurs homologues étrangers ne le sont de poursuivre des gouvernements canadiens.
Ajoutez au nouvel ALE la restructuration néolibérale agressive que la Colombie a déjà connue au cours des dernières années, y compris la réécriture financée par l'Agence canadienne de développement international (ACDI) de son code minier (qui permet aux entreprises d'accéder aux terres autochtones) et le taux de redevances ridiculement bas. imposée aux investisseurs étrangers (aussi bas que 5 % dans le secteur pétrolier et 0.4 % dans le secteur minier), et les entreprises canadiennes pourraient s'en donner à cœur joie. Colombie est riche en ppétrole, gaz naturel, charbon, minerai de fer, nickel, or, cuivre, émeraudes et hydroélectricité – et Canada possède la plus grande industrie minière au monde, et des secteurs pétroliers et hydroélectriques non négligeables.
L’ALE colombien fait partie de Canadala soi-disant stratégie commerciale mondiale, dont une partie importante augmente Canadal’influence économique de Amériques. Selon le communiqué de presse des Affaires étrangères annonçant la conclusion des négociations commerciales, « la stratégie comprend un programme de négociations commerciales agressif qui vise à garantir des conditions d'accès compétitives sur des marchés qui offrent un potentiel important pour nos produits et notre expertise. » Cette stratégie a clairement été un succès dans Colombie.
Mettre un prix à la vie des syndicalistes
Peu importe qu’une précédente vague d’investissements canadiens dans les années 1990 ait été un désastre pour les syndicalistes et les autochtones colombiens. Les investissements canadiens dans les secteurs minier (Corona Goldfields, par exemple), pétrolier (Enbridge, par exemple), télécommunications (Nortel, par exemple) et hydroélectrique (BFC Construction et Agra-Monenco, par exemple) dans les années 1990 se sont déroulés sur la base de meurtre et de déplacement.
Stephen Harper et ses acolytes prétendent que le président Uribe s’attaque aux problèmes de droits de la personne dans son pays. La réalité est cependant tout autre : les assassinats paramilitaires sont restés stables depuis l’élection d’Uribe en 2002, tandis que, selon plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, le taux d’assassinats de syndicats en 2008 est bien plus élevé qu’en 2007. Colombie est de loin l'endroit le plus dangereux au monde pour les militants syndicaux, avec plus de 2000 1991 assassinés depuis XNUMX. Et quarante pour cent des violations des droits humains commises contre les syndicalistes se produisent dans le secteur minier – où les entreprises canadiennes sont les plus fortes. Les paramilitaires sont responsables de la majorité des violences, et actuellement le gouvernement Uribe est impliqué dans un scandale dans lequel plusieurs dizaines d’associés politiques du président (y compris un membre de sa famille) ont des liens avec eux.
Alors, comment un ALE améliorera-t-il la situation des droits de l'homme dans Colombie, plutôt que d'aggraver les choses ? Comment sera Canada veiller à ce que les entreprises canadiennes ne profitent pas ColombieQuel est le climat de peur, de persécution et de meurtre ? La réponse, apparemment, est l’Accord parallèle de coopération dans le domaine du travail (LCSA). Le ministre du Travail du Canada, Jean-Pierre Blackburn, affirme que l'ALE « contient certaines des dispositions sur le travail les plus complètes que l'on puisse trouver dans n'importe quel accord au monde », ajoutant pour faire bonne mesure que « alors que le gouvernement colombien s'efforce de renforcer les droits du travail après un passé difficile, le Canada sera là pour aider. Comme c’est charitable.
Les LCSA ne sont cependant pas nouvelles. Ils appellent les parties aux accords commerciaux à appliquer leurs propres normes du travail et à maintenir ces normes en conformité avec celles de l'Organisation internationale du travail (OIT). Mais Colombie ne respecte pas actuellement ses propres normes du travail. Après tout, il n’existe pas de législation autorisant le meurtre de militants syndicaux. C’est l’exemple le plus flagrant des violations de Colombiele droit du travail ; Les licenciements massifs et les décertifications syndicales se produisent également régulièrement en toute impunité.
CanadaLa solution : ajouter une petite touche à la LCSA de l’ALE colombien, qui est clairement conçue comme une façade et rien de plus. Selon le communiqué de presse des Affaires étrangères sur l'accord commercial (c'est tout ce dont nous disposons pour l'instant), « Si les obligations [en vertu du droit du travail d'un pays] ne sont pas respectées, le pays contrevenant pourrait devoir payer jusqu'à 15 millions de dollars en toute année dans un fonds de coopération, qui sera utilisé pour résoudre les problèmes identifiés lors du processus de règlement des différends.
Il s’agit d’une décriminalisation de facto du meurtre. Les syndicalistes sont régulièrement confrontés à des violences physiques Colombieet CanadaLa réponse est un système d’amendes. Il semble que le fanatisme des conservateurs en matière d’ordre public ait disparu ici. Selon le Centre international des droits syndicaux, en 2007, 384 violations majeures des droits de l'homme ont été enregistrées contre des militants syndicaux, dont 38 assassinats, 11 « disparitions », 16 attaques armées, 201 menaces de violences physiques, 14 arrestations illégales et 95 personnes obligées de se déplacer pour des raisons de sécurité. Avec un plafond de 15 millions de dollars, cela représente 39,062.50 XNUMX dollars par violation majeure des droits. Mais il s’agit de violations enregistrées, et cela n’inclut pas les licenciements massifs, les décertifications illégales des syndicats, etc., qui font tous baisser le coût par violation des droits. Fidèle à sa forme capitaliste, la sanction des droits humains imposée par l’ALE fonctionne selon une économie d’échelle : plus le gouvernement colombien et ses alliés paramilitaires violent les droits des syndicalistes, moins cela leur coûte cher. Plus pour leur argent meurtrier – et Canada est complètement complice.
Cela peut toutefois être un point discutable, du moins en ce qui concerne les paramilitaires. Même s’ils sont responsables de la majorité des violations des droits, malgré toutes les preuves du contraire, ils conservent une indépendance officielle par rapport à l’État. Et Canada Il n’a pas précisé si le gouvernement colombien serait tenu responsable des abus commis par les paramilitaires ou s’il passerait inaperçu à ce sujet.
De plus, le communiqué de presse des Affaires étrangères ne mentionne pas les peuples autochtones et les paysans, qui courent le plus grand risque de violence dans le pays. Les paramilitaires assassinent plusieurs centaines de personnes chaque année, dont la plupart sont des paysans indigènes ou pauvres vivant sur des terres riches en pétrole ou en minéraux souterrains. Le communiqué de presse n’explique pas non plus qui participera au processus de règlement des différends. C’est difficile de participer quand on est mort ou quand on a trop peur pour témoigner. Ou bien le gouvernement colombien, impliqué dans les violations des droits humains à travers son appareil de sécurité et ses liens avec les paramilitaires, devrait-il prendre la cause des opprimés du pays ?
Dans un article précédent (dont le lien est fourni ci-dessus), j'ai soutenu que Canadale rapprochement avec Colombie est également de nature géopolitique – le soutien à un pays qui se présente comme un rempart contre l’anti-impérialisme dans la région andine. Le nouvel ALE, avec son attitude cavalière face au dégoût passionné de la Colombie pour les droits de la personne, ne fera que renforcer cette relation et encouragera la Colombie à continuer de faire ce qu’elle fait si bien, tout en offrant en même temps aux entreprises canadiennes de nouvelles opportunités de réaliser des profits. Il en va de même pour la politique étrangère canadienne dans la région andine : les profits plutôt que les populations, la misère et la violence plutôt que la justice sociale.
Todd Gordon est l'auteur de Flics, crime et capitalisme : le programme de maintien de l’ordre public Canada. Ses articles sont parus sur ZNet et en Nouveau socialiste revue. Il est professeur adjoint d'études canadiennes à la Université of Toronto, et joignable à [email protected].
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